- WEDEKIND (F.)
- WEDEKIND (F.)WEDEKIND FRANK (1864-1918)Dans l’Allemagne de son temps, Frank Wedekind a fait figure de provocateur qui s’acharnait à violer les conventions esthétiques et morales de l’ère wilhelminienne. Né à Hanovre, il passe sa jeunesse en Suisse à partir de 1872. Lycéen, il se passionne pour la littérature, lit Nietzsche et se familiarise avec la philosophie pessimiste de la fin du XIXe siècle. Après des études fantaisistes, une activité de publiciste dans la firme Maggi et une collaboration à divers journaux, il se consacre à l’écriture. D’emblée, avec sa première pièce importante, L’Éveil du printemps (1891), Wedekind traite un sujet tabou: l’éveil de la sexualité des adolescents et leur confrontation avec le monde des adultes. Sur le plan formel, la pièce, dans la lignée de Büchner, annonce l’expressionnisme par les scènes juxtaposées, par la réduction des personnages à des «types», par la distance ironique, par l’intrusion du grotesque et du fantastique.L’épanouissement harmonieux de l’être, la parfaite maîtrise du corps dans le sens nietzschéen de la force vitale — impossible dans le contexte d’une société rétrograde, comme le démontre L’Éveil du printemps —, Wedekind les découvre dans le cirque. Lors de ses séjours en France (à partir de 1891), il est à un tel point fasciné par le cirque et les variétés qu’il écrit trois pantomimes: Les Puces. La danse de douleur , Bethel et L’Impératrice de Terre-Neuve . Dans cette dernière (une jeune impératrice est guérie par un haltérophile de la mélancolie engendrée par les conventions), gags en cascades, situations burlesques, rythme trépidant deviennent autant de métaphores visuelles qui expriment la libération de toute contrainte par le déchaînement de l’instinct et au détriment des normes d’une société régie par une morale stérile. L’expérience de la pantomime se solde par des apports intéressants pour le dramaturge: richesse de la gestuelle, mélange des genres, autant de facteurs qui «dynamisent» le spectacle et rompent la linéarité de la représentation. Wedekind saura par la suite intégrer dans ses pièces des éléments empruntés au cirque, qui correspondent d’ailleurs à la philosophie de l’auteur: le cirque n’est-il pas le paradigme du monde?Quant à la dimension verbale, Wedekind la réduit à l’extrême concentration avec les poèmes caustiques qu’il fournit à la revue satirique Simplizissimus . L’un d’eux lui vaudra d’ailleurs quelques mois de prison pour crime de lèse-majesté. Bien qu’il considère cette activité comme un gagne-pain susceptible de compenser la réception peu enthousiaste de ses pièces, Wedekind s’exhibe au cabaret des «Onze Bourreaux» à Munich. Il accompagne à la guitare ses Bänkellieder , type de chanson populaire narrative dont il utilise la structure tout en en faisant surgir, par le téléscopage entre la forme simpliste et le fond agressif, une critique sociale acerbe. Brecht, admirateur de Wedekind, s’inspirera largement de ce travail sur une forme populaire lorsqu’il recherchera des effets de distanciation.L’importance du recours aux spectacles mineurs, soit comme matériau brut, soit comme métaphore, permet à Wedekind de corroder le système aristotélicien, de rompre avec le déterminisme psychologique naturaliste. Lulu (L’Esprit de la terre et La Boîte de Pandore , 1892-1901, textes plusieurs fois remaniés, qui ne connaîtrons une édition définitive qu’en 1913) qu’Alban Berg adaptera pour l’opéra et Le Roi Nicolo (1902) sont introduits par des prologues, vraies parades de forains qui cassent l’illusion. Les personnages sont stéréotypés; figés dans leur rôle, ils défendent un principe: Lulu ne vit que par l’instinct, hors de toute temporalité, le marquis de Keith (Le Marquis de Keith , 1901) résume sa «philosophie» dans une image de champ de foire: «La vie est un toboggan.» Des inserts grotesques pervertissent le tragique, offensent ostensiblement la bienséance, et la dégénérescence verbale clownesque est parfois poussée jusqu’à l’absurde.Variations multiples autour d’un même thème fondamental, le dualisme entre l’esprit et la chair (dans les œuvres déjà citées, et dans Franziska , 1912) allié à la critique de la société par l’ironie (Fritz Schwigerling. Le philtre , 1892) ou par le paradoxe (Hidalla , 1904, vaudeville parodique qui dénonce le principe de concurrence de la société capitaliste), les écrits de Wedekind sont complexes. Sa prose qui étaye sa philosophie, et d’autres pièces telles que Musique (1906), La Censure (1907), Le Château de Wetterstein (1910), méritent d’être redécouvertes. Souvent vilipendé par la critique, frappé par la censure, Wedekind, en contaminant le spectacle «noble» par le spectacle «mineur», a ouvert des brèches qui permettent d’entrevoir le théâtre futur, le théâtre expressionniste et le théâtre épique.
Encyclopédie Universelle. 2012.